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La Terre cuicatèque : une terre de légendes...

mercredi 16 mai 2007, par InventArte

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Il y a plus de 3000 ans que les Cuicatèques se sont implantés dans la région de la Cañada, autour des montagnes, vivant en contact étroit avec la nature qu’ils sont parvenus à connaître et à vénérer. La terre ne leur appartient pas. Son propriétaire n’est autre que Saa Davi, le “propriétaire de la montagne”, qui détient le pouvoir de faire tomber la pluie sur les champs pour améliorer la récolte et ainsi permettre la subsistance.

Avant d’ensemencer une terre, chaque famille doit sacrifier un agneau, ou quelques volailles pour le repas dans le champ qu’ils partagent avec Saa Davi, pour lui rendre hommage et pour qu’il fasse tomber la pluie sur les champs de maïs. Ainsi, tout le territoire cuicatèque est rempli d’esprits... et chacun d’entre eux possède un champ spécifique.

Parmi eux, on trouve ‘Ivi Iti, l’esprit des animaux. Il les protège des chasseurs des villages voisins et leur confie une mission de messagers. Le hibou apportera ainsi les mauvaises augures alors que la renarde indiquera la venue de la pluie.

‘Ivi nuni est l’esprit qui vit dans les sources. Gare à ceux qui endommagent ou gaspillent l’eau... ils en tomberaient malades. Pour guérir, ils devront offrir quelques offrandes à l’esprit des sources. Les petits êtres sont au service de ‘Ivi nuni et veillent à ce que personne ne viole le caractère sacré des sources. Tous ces esprits sont subordonnés au pouvoir du Propriétaire de la Montagne, Saa Davi. On le trouve dans le bois, le vent, la pluie, les rayons du soleil ou encore les troupeaux d’animaux qui font irruption dans les champs. Pour prendre quelque chose de son territoire, il faut lui demander la permission, à savoir dire une prière et reconnaître que tout lui appartient. Celui qui omet de le faire devra rester chanter pour lui.

Cependant, dans cette gamme des esprits de la montagne, il y a des êtres bons et des êtres mauvais. Les chaneques, par exemple, sont mauvais. Ce sont des lutins. Lutin en cuicatèque se dit chirada qui signifie « le mal ». Ils tentent tout pour tromper les personnes, pour les décourager. On peut parler avec eux mais il faut veiller à ne surtout pas les toucher... bien que leur visage angélique et enfantin, ainsi que leur longue chevelure blonde soient plus que séduisants.

Un autre esprit très important dans la culture cuicatèque : Saa Yicu, l’homme de la colline qui vit à Cheve, la grotte sacrée de tous les Cuicatèques. As-tu déjà entendu parler de la grotte de Cheve, une des grottes les plus profondes du monde ?

Dans cette grotte, les Cuicatèques allaient déposer des offrandes pour vénérer l’esprit qui habitait là et reconnaître son pouvoir.

Mais... Cheve est le lieu des sorciers, du démon, des pervers. Ici se dressent les San Gatu, terme qui signifie les « devins » ou les « ensorcelants », en bref, les « connaisseurs de l’occulte ». Ici on apprend à soigner, à lever les esprits ou à rendre malade les ennemis. Pour cela, Cheve est le lieu de la santé. Les gens s’y rendent pour invoquer l’esprit de la personne de leur entourage qui est malade. Par ailleurs, Saa Gatu est le sorcier qui s’occupe de régler les conflits entre les personnes. Lorsqu’il y a un souci entre deux personnes, on vient le chercher pour que celui-ci se charge d’en aviser l’être qui habite dans la grotte sacrée. Il dépose un papier avec le nom de l’ennemi à Saa Yicu qui peut alors faire son travail : en peu de temps l’ennemi tombe malade.

La famille du malade doit alors consulter un autre sorcier, lequel, par le biais de l’art et avec quelques pierres, va pouvoir comprendre que l’esprit du malade est à Cheve. Ils doivent alors préparer une offrande spéciale pour Saa Yicu, qui, seulement de cette manière, pourra libérer l’esprit du malade et la personne saine.

Cheve est aussi la grotte de l’argent. On passe un pacte avec Saa Yicu : l’argent en échange des âmes. Saa Yicu prête de l’argent mais en échange attend les âmes des personnes. Si celui qui reçoit de l’argent n’en fait rien, lui, sa famille et ses enfants tomberont malades et leurs âmes resteront dans la grotte.

Cette relation intime des Cuicatèques avec la nature a favorisé leur connaissance de l’espace dans lequel ils vivent et a permis que le territoire soit délimité par le biais de référents naturels. La division entre les Cuicatèques et les Mazatèques, par exemple, est déterminée par une dépression située près de San Pedro Teutila, ainsi que par la rivière Santo Domingo. Si les éléments naturels peuvent différencier, á l’intérieur d’une même région, les territoires ethniques, il peuvent aussi distinguer deux villages d’une même ethnie.

Dans les villages qui connaissent la pénurie des terres, les habitants forment des groupes pour exploiter ensemble une extension de terre délimitée. On peut faire équipe avec n’importe quelle personne mais en général l’intégration est parentale, en fonction des relations consanguines ou rituelles. Le conflit pour les terres est une constante sur le territoire cuicatèque, que ce soit entre les mêmes villages qui forment un groupe ou avec les villages métis. La confrontation dérive de la défense de la terre ainsi que des créations mythiques autour des ressources naturelles pour jalouser le voisin. Certains villages qui possèdent une terre plus fertile sont alors les villages riches, alors que ceux de la zone froide dont les forêts limitent les ressources économiques sont plus pauvres. Ainsi, les conflits intra-ethniques autour de la terre marquent une différence entre le « nous » social et le « nous » ethnique, puisque la distinction est ici d’ordre économique.

La terre et le territoire sont donc très importants dans la conscience collective cuicatèque. Ils sont empreints de mythes, et source d’admiration des Cuicatèques. Avant l’époque du Porfiriato, époque marquée par la dictature de Porfirio Diaz, alors président du Mexique (1870-1910), la terre était considérée dans l’imaginaire cuicatèque comme un patrimoine inaliénable. Le Porfiriato a bouleversé la vie de la région cuicatèque ainsi que les conceptions traditionnelles de l’activité économique et de la possession des terres. La terre, bien familial qui se transmettait de générations en générations, est désormais déclarée propriété des métis et étrangers puisque bon nombre des terrains cuicatèques leur ont été octroyés par Porfirio Diaz. De cette manière l’agriculture – essentiellement la production de café –et également l’élevage furent incorporés dans le marché capitaliste, s’intégrant ainsi dans le va-et-vient de l’économie mondiale. Le démantèlement de ces terres a mené à la désintégration des derniers cazicasgos (système féodal et seigneurial mexicain) puisque les caciques – les nobles cuicatèques – se sont vus obligés de vendre leurs terres, de vendre un bien familial pourtant inaliénable, de vendre en quelque sorte leur âme... étant donné l’importance accordée par les Cuicatèques à leur relation avec la terre ainsi qu’avec Saa Davi, le réel propriétaire de la nature cuicatèque.

Gwénola Barbotin, 9 mai 2007


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